Les enjeux de la médecine traditionnelle au cœur de la Conférence 2018
07/11/2018
Chaque année, La Fondation Pierre Fabre organise une conférence permettant de faire le point sur les connaissances et enjeux actuels de grandes problématiques de santé mondiale. En 2018, les pratiques et produits de santé traditionnels et leur place dans les systèmes de santé des pays du Sud ont été discutés. Si la valorisation des médecines traditionnelles souhaitée par l’OMS progresse, de nombreux défis restent à relever.
De la place des médecines traditionnelles dans les parcours de soins à la recherche sur les pharmacopées locales, différents sujets d’actualité ont été développés lors de la conférence du 2 octobre 2018 par des intervenants venus du Mali, du Togo, de Madagascar et de France.
Les médecines traditionnelles sont la somme de toutes les connaissances, compétences et pratiques reposant sur les théories, croyances et expériences propres à différentes cultures, qu’elles soient explicables ou non, et qui sont utilisées dans la préservation de la santé (…) ou le traitement des maladies. Dans des pays où l’accès à des soins de qualité reste inégalitaire, elles occupent une place importante dans les parcours des patients. Partout dans le monde, elle suscite un intérêt croissant pour son accessibilité, son acceptabilité culturelle et son coût abordable[1] [2].
Une valorisation en progrès et des obstacles à surmonter
L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) considère les médecines traditionnelles (MT) comme un vecteur d’accès aux soins et de promotion de la santé et incite les gouvernements à les intégrer dans les systèmes et politiques de santé nationaux. Elle promeut également la sécurité, l’efficacité et la qualité des pratiques et produits de la MT et leur usage rationnel.
D’importants efforts ont été réalisés par les Etats membres : en 2012, 69 pays étaient dotés d’une politique de MT (contre 25 en 1999) et 119 pays réglementaient les médicaments à base de plantes (contre 65 en 1999). Cependant, des difficultés persistent, notamment par manque de données de recherche et de moyens de contrôle qualité des produits de santé traditionnels[1].
Les défis de la médecine traditionnelle en débat
Les expériences et réflexions partagées par les intervenants au cours de cette journée ont permis de nuancer la dichotomie entre les médecines traditionnelles « douces » passéistes et la médecine conventionnelle « chimique » moderne. La formation des professionnels de santé et le développement de systèmes de pharmacovigilance intégrant ces pratiques sont apparus cruciaux pour la compréhension des besoins des patients et la sécurité de leur prise en charge.
Retour sur la table ronde : Regards sur l’Inde et la Chine
Lors de la conférence, Romain Simenel, ethnologue à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), a expliqué que le récent « boom » commercial de l’ayurveda, la médecine traditionnelle de l’Inde, s’articule autour d’un « trio gagnant » massage – gastronomie – spiritualité et d’une image de médecine savante transmise par les Brahmanes. Le chercheur a cependant précisé que les savoirs ayurvédiques reposent tout autant sur les pratiques populaires de tribus au statut marginalisé. Evelyne Micollier, anthropologue à l’IRD, a rappelé que même si la Chine est souvent citée en exemple par les organisations internationales pour l’intégration des médecines traditionnelles à son système de santé public, elle cherche désormais, suite à l’apparition de dérives importantes, à faire « demi-tour » en séparant la médecine traditionnelle chinoise du système de santé.
Les discussions ont également apporté un éclairage sur la pluralité des pratiques de soins dans le monde et permis de mieux comprendre leur évolution actuelle dans un contexte de globalisation : les savoirs se transforment, empruntent et s’hybrident. Il est ainsi apparu important de veiller à ce que la valorisation des médecines traditionnelles ne conduise pas à leur transformation en « produits culturels de la mondialisation », qu’elle ne nuise pas au développement de la médecine conventionnelle et ne creuse ainsi les écarts dans l’accès à des soins de qualité[3].
Une tradition dans la modernité
Lors de ces Journées, 5 intervenants provenant de pays d’Afrique et d’Asie ont décrit les actions menées pour valoriser et encadrer les pratiques et outils des médecines traditionnelles.
Rokia Sanogo, Professeur de pharmacognosie à l’Université de Bamako a présenté le Département de Médecine Traditionnelle (DMT) à Bamako au Mali qui met au point des « Médicaments Traditionnels Améliorés » selon une démarche associant enquêtes de terrain, tests de laboratoire, enregistrement et production de médicaments. Batomayena Bakoma, Professeur de pharmacognosie de l’Université de Lomé, a montré qu’au Togo l’enseignement universitaire de la médecine traditionnelle permet d’éveiller l’attention des futurs professionnels de santé sur ses pratiques largement utilisées par leurs futurs patients. Charles Andrianjara, directeur l’Institut Malgache de Recherches Appliquées à Madagascar, a présenté les résultats de travaux pré-cliniques sur deux espèces de plantes couramment utilisées pour une évaluation dans la prise en charge de la drépanocytose. Enfin, Bernard Fabre et Mathieu Leti de l’Institut de Recherche Pierre Fabre (IRPF) ont évoqué leur collaboration avec l’université des sciences de la santé du Cambodge (USSC) pour un projet de réalisation d’une pharmacopée cambodgienne permettant l’identification d’espèces clefs utilisées en médecine traditionnelle khmère.
[1] OMS : Stratégie de l’OMS pour la médecine traditionnelle pour 2014-2023. 2014.
[2] Discours prononcé en anglais par le Directeur général de l’OMS, le Dr Margaret Chan, à l’occasion de la Conférence internationale sur la médecine traditionnelle pour les pays d’Asie du Sud-Est, New Delhi, Inde, 12-14 février 2013.
[3] Dejouhanet L. : L’Ayurveda : Mondialisation d’une médecine traditionnelle indienne, Echo Geo n°10, septembre – novembre 2009.
La conférence en vidéo